jeudi 3 juillet 2014

Du plaisir doux-amer de lire un chef-d’œuvre


Il y a de ça plusieurs années, j’ai pleuré en finissant un roman.
C’était le mirifique Va savoir de Réjean Ducharme.

Jamais je n’avais lu une histoire d’amour aussi intense, aussi désespérée.
Ducharme a rendu ses personnages si authentiques, si présents, que lire la dernière page de son roman était comme entrer en deuil.
La beauté pure remue.
J’ai pleuré donc.

J’ai pleuré à cause de la puissance de l’écriture, de la force de l’histoire, de l’immense talent de Ducharme. Mais je pleurais aussi sur moi-même. Parce que je me disais, Poulin, jamais au grand jamais tu ne pourras égaler ça. Jamais tu ne pourras écrire quelque chose d’aussi bon. Quand bien même que tu écrirais 15 heures par jour pour les prochains 50 ans, tu n’arriveras même pas à la cheville de Ducharme.

Quand on tente d’écrire soi-même, quand on s’évertue à repousser ses limites, quand on s’essouffle à tenter de s’améliorer, quand on s’escrime à tirer sur son petit talent pour le faire grossir un peu, c’est à la fois doux-amer de lire un chef-d’œuvre.
En tant que lectrice/auteure, ça nous tire vers le haut, mais aussi vers le bas.
Ça fait du bien, mais ça fait mal.

Comme le hasard fait parfois bien les choses, en faisant le ménage cette semaine dans une pile de journaux jaunis (et non lus), suis tombée une entrevue de l’auteur David Sedaris, dans le Globe and Mail, qui disait ceci : «C’est important de lire dans un esprit de générosité. Si vous lisez en un livre en vous disant « Je ne serai jamais aussi bon », dites-vous bien qu’il ne s’agit pas de vous. Réjouissez-vous plutôt du fait qu’un auteur soit si bon. Quand je lis un livre fabuleux, je sais que je ne serai jamais aussi bon mais je trouve beau de voir que quelqu’un a autant de talent. »

O.k.
C’est noté.
J’ai pigé.
Toute comparaison est odieuse.
Et qui se compare ne se console pas vraiment.

Note à moi : lire sans nombrilisme...
Lire dans un esprit de générosité…
Merci M. Sedaris.

4 commentaires:

  1. Il y a des livres que même en voulant très fort, en m'appliquant pendant des années, je sais que je n'en écrirai jamais de semblables. Ceux-là, je les lis avec l'esprit et le coeur libres. J'admire l'auteur, j'aime le livre et je me laisse aller.
    J'en lis d'autres aussi avec cette même aisance: ceux que je n'envie pas, ceux que je ne voudrais pas avoir écrit de toute façon, qu'ils soient des best-sellers ou non.
    Il reste tous les autres, trop encore!
    Ça dépend aussi à quel moment on les lit. Il ne faut pas lire pendant qu'on a un manuscrit en cours d'écriture.
    Pas facile de concilier la lectrice et l'auteure. Comme je te comprends. Et on dirait qu'on n'apprend pas d'une fois à l'autre.
    Je vais tout de même aller voir si Va savoir va me faire pleurer!

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  2. Le pire Andrée, ce serait que tu lises un livre que tu as écrit et que tu te dises : Je ne pourrais plus jamais égaler ça. Là, ce serait grave. Mais sinon, t'en fais pas. Moi, "La plus grosse poutine du monde" m'a ému pas mal plus que bien des classiques. (Et tu me connais, je ne flagorne jamais! Au contraire.)

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  3. Chère Claude: j'espère que tu aimeras "Va savoir"... même si ce n'est pas un livre "facile"...

    Cher Camille: j'essaie, autant que possible, de ne pas me relire... Parce que quand je le fais, je me dis souvent: j'aurais pu faire mieux... Et toi? Te relis tu?

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  4. Non, jamais. Pour les mêmes raisons. Et c'est sain. L'auteur qui se relit et se complaît dans ce qu'il trouve est déjà un "has been".

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