jeudi 18 février 2010

Le cruel carcan de la mode cubaine


Depuis longtemps, je fais passer mon confort avant mon élégance. Ce qui explique que j’ai toujours été mal fagotée (au grand désespoir de ma mère). Je suis l’antithèse de la carte de mode. Ce qui m’a frappé chez les Cubaines, ce sont les sacrifices (pour ne pas dire les supplices…) qu’elles endurent au nom de la mode.

La blouse qui boudine
D’abord, les vêtements. De nombreuses Cubaines achètent leurs fripes une taille trop petite. Des pantalons serrés à vous rendre stérile. Serrés à vous enlever toute envie de vous asseoir. Des blouses qui boudinent le haut du corps et lui donnent l’allure peu aguichante d’un saucisson. Des camisoles avec des bretelles spaghetti d’où les seins pendent et débordent.
Je me suis sentie plutôt inélégante dans mon short/chemisette en nylon de Royal Robbins, infroissable, lavable et sec en cinq minutes.
Inélégante oui, mais oh combien confortable!

Ces talons traîtres qui font tituber

Des talons des Cubaines, on peut dire que ce sont les talons parfaits pour faire tituber.
C’est qu’elles sont nombreuses à les porter, ces talons aiguilles et ces talons hauts.
Et pas juste hauts.
Vertigineusement hauts.
Dangereusement hauts.
Avec ces traîtres talons, bonjour les entorses.
Ou les foulures qui nous guettent à chaque trou de trottoir… et dieu sait que les trottoirs délabrés de Cuba sont un péril constant pour les piétons.
Je me suis sentie plutôt inélégante dans mes espadrilles.
Inélégante oui, mais oh combien confortable!



Comment font-elles pour se gratter le nez?
Mais plus que les fringues trop moulantes et les talons trop hauts, ce sont les ongles des Cubaines qui m’ont fasciné. Le mot griffe ici est trop timide pour décrire ces longs fragments pointus de plastique bariolé. Oh, les redoutables faux ongles des Cubaines. Chaque fois que j’en voyais une paire, je ne pouvais m’empêcher de les dévisager, ahurie devant ce qui me semble un excès de coquetterie.
Si on ne se fie qu’à leurs ongles, les Cubaines sont des princesses qui ont le loisir de se prélasser à longueur de journée. Avec des ongles d’une longueur aussi extravagante, impossible de se peler une orange, de faire la vaisselle ou même de taper sur un clavier…
Et je n’ose même pas penser à ce qui se passe au moment où elles vont au petit coin et doivent se servir du papel hygienico

Ces fameux faux ongles, j’en ai vu de toutes les couleurs. Bariolés, burlesques et décadents. Avec des motifs de fleurs en relief, comme des coraux miniatures collés directement sur l’ongle.
À l’hôtel, la réceptionniste nous a dit : « L’artiste peint les fleurs à la main. Je change le dessin tous les 20 jours.»
Chaque fois que je demandais si je pouvais prendre une photo de leurs ongles, les Cubaines les étalaient avec fierté. Aucune ne s’est plainte des inconvénients.



J’ai regardé mes ongles, qui n’ont pas vu de vernis depuis mes années de secondaire, mes ongles que je garde invariablement très courts (le clic clic des ongles sur le clavier m’agace).
Mes ongles ont autant d’élégance que ceux d’un fermier… Inélégants oui, mais oh combien confortables!
N’est-ce pas fabuleux de pouvoir se gratter le nez sans crainte de se l’écorcher?

mardi 16 février 2010

Les Dames Pipi de Cuba



Je ne vais pas vous parler du bleu envoûtant de la mer à Cuba.
Je ne vais pas vous parler de la douceur du sable fin des plages de Cuba.
Je ne vais pas vous parler de la formidable fraîcheur acidulée du mojito, ce célébrissime cocktail cubain.
Je ne vais pas vous parler de la beauté sensuelle des Cubaines et du sex appeal des Cubains.
Non.
Je vais vous parler des Dames Pipi que j’ai vues à Cuba.

45$ du rouleau
Dans les toilettes publiques du petit centre commercial de Varadero, la Dame Pipi était en fait un Homme Pipi. Un gros costaud basané, qui parlait fort avec d’autres costauds basanés. Il tenait un rouleau de papier de toilette dans sa main. Quand il a vu que je me dirigeais vers la toilette des femmes, il a vivement déroulé son rouleau de papier de toilette et m’a tendu une longue bande de papier, tout chiffonné. Ça m’a coûté 1.50$ pour 5 carrés de papel hygienico. À ce prix là, ça doit faire 45$ le rouleau de papier cul…

Mieux payée qu’un prof d’université

Dans un sympathique resto de la vieille Havane, la Dame Pipi ressemblait à une mariée quincagénaire. Elle avait des cheveux blancs, une blouse blanche et une jupe blanche. Assise très droite sur sa petite chaise, postée devant la salle de bain des femmes, la Dame Pipi avait une allure proprette et distinguée. Ses morceaux de papier de toilette étaient méticuleusement séparés, pliés et alignés dans une soucoupe (blanche aussi) posée sur une tablette à ses pieds. Comme je n’avais pas de piécette à lui donner, je suis retournée à ma table pour demander de la monnaie à mon chum. L’amie cubaine qui nous accompagnait est professeur à l’Université de la Havane. Elle m’a dit, d’une voix où pointait une note de dépit: « Elle gagne sans doute plus que moi. »

Cocottes caquetantes

Sur la plage, à Varadero, les toilettes publiques sont de petits cabanons de bois peints dans des couleurs bonbons : rose, vert lime. Il n’y a pas de Dame Pipi devant ces cabanons. Rien qu’une foule de poules affairées. Une cohue de cocottes caquetantes qui s’en fichent qu’il n’y ait plus le moindre petit morceau de papel hygienico dans le cabanon.

Vider la cuvette à la dure
Au terminus de la Havane, où nous avons attendu trois heures un autobus qui n’est jamais venu (notre Godot à nous durant cette journée plus qu’absurde…), la Dame Pipi était à bout de souffle. Le visage rouge, la queue de chemise sortie, elle courait sans cesse entre la salle de bain des hommes et celle des femmes. Pour une raison mystérieuse, il n’y avait pas d’eau courante chez les femmes alors qu'il y en avait chez les hommes. Impossible d’actionner la chasse d’eau pour faire disparaitre son numéro 1... ou son numéro 2... La pauvre Dame Pipi devait donc remplir sa chaudière d’eau d’un côté pour ensuite aller la vider dans les cuvettes des toilettes des femmes.
Elle avait l’air épuisée.
Écoeurée.
J’ai déposé toute ma monnaie dans sa soucoupe.
J’aurais voulu lui offrir une chaise.
Un mojito bien frais.
Une journée à la plage.

lundi 15 février 2010

"Le découragement n’est qu’une étape du travail"



La Disparition de Paris et sa renaissance en Afrique, Martin Page. Éditions de l’Olivier.

Le roman de Martin Page s’ouvre sur une phrase percutante. Une phrase qui nous situe tout de suite dans l’action et nous donne aussi une idée du style de l’auteur. Voyez voir : «Un mercredi soir de la mi-décembre, boulevard Barbès, sous les arbres décorés des guirlandes électriques de Noël, une matraque a rencontré un crâne. »

Le crâne, c’est celui de Fata Okoumi, une richissime femme d’affaire africaine venue à Paris pour voir à ses investissements. Lorsque l’Africaine septuagénaire refuse de présenter ses papiers à un jeune policier, ce dernier lui assène un coup de matraque sur la tête. Sérieusement blessée, la dame doit être hospitalisée.

Cette bavure policière enflamme la presse française et internationale, qui crie au racisme. Le maire de Paris, qui cherche par tous les moyens à limiter les dégâts, envoie Mathias, un de ses rédacteurs de discours, auprès de la victime, afin de l’apaiser et de trouver une façon de réparer l’outrage.

Célibataire, la quarantaine nonchalante, Mathias tombe immédiatement sous le charme de Fata Okoumi. Lui qui avait toujours fait montre d’un certain détachement se retrouve bouleversé par cette femme charismatique. On assiste alors à la transformation graduelle de Mathias, tandis qu’il essaie de trouver une solution pour réparer les torts faits à Fata Okoumi.

La suite de l’histoire est complètement imprévisible et totalement irrésistible.

Ce roman m’a envoûté, au début par sa mélancolie douce, puis ensuite par cette belle urgence d’agir d’un idéaliste qui trouve enfin une raison de se dépasser.

À chaque chapitre, j’ai trouvé des phrases bijoux, que je voulais retranscrire et offrir à d’autres, comme on offre des bouquets.

Mathias décrit ainsi l’appartement où il habite: « J’habite un parfum de tarte au gingembre.»

J’aime la lucidité de ce personnage et cette façon qu’il a, en une courte phrase lapidaire, de dénoncer l’indifférence de ceux-qui-ont à l’égard de ceux-qui-n’ont-pas.
« Il faudra attendre que la malaria s’abatte sur New York, Tokyo et Paris pour que l’on s’en préoccupe sérieusement. »

J'ai aimé aussi cette vision un peu romantique des rédacteurs de discours.
« Personne aujourd’hui ne croit plus que les hommes politiques écrivent eux-mêmes leurs discours. Ils ont mieux à faire. Des gens comme moi jouent les Cyrano de Bergerac, écrivant les mots qui permettront à des hommes populaires de conquérir les cœurs. Et nous restons sans amour. Mais avec la conviction que nous participons à la naissance de choses qui en valent la peine.»

Et dernier bouquet, la phrase que j’ai épinglé sur mon babillard, celle où le héros nous donne sa perception du découragement. « Le découragement ne me fait pas peur. C’est une étape du travail, et rien d’autre, une étape à passer pour accéder à la solution.

J’ai parlé de ce roman samedi dernier à ma chronique aux Divines Tentations, qu’on peut écouter ici.