vendredi 22 mai 2009


Voici les livres dont je parlerai demain matin à l’émission les Divines Tentations.

178 secondes. Katia Canciani. Les Éditions David.
Cette auteure polyvalente (elle a été pilote d’avion) présente ici le parcours initiatique d’un jeune Québécois qui rejette le carcan familial pour partir explorer les espaces canadiens et ses propres espaces intérieurs. Paysages familiers à redécouvrir, héros attachant et dialogues fluides.
Phrase poétique cueillie au passage:
« J’avais l’Atlantique à ma gauche, la forêt à ma droite, une sirène à mes côtés et tout un ciel devant moi. Il y a un paysage pour chaque personne. »


L’histoire d’Edgar Sawtelle. David Wroblewski. J.C. Lattès.
Ce premier roman d’un auteur américain offre une intrigue haletante et de fascinantes descriptions de l’élevage des chiens. On y suit Edgar Sawtelle, un adolescent muet de naissance, balloté au fil d’une tragique saga familiale. Une histoire où l’on constate que le chien est vraiment le meilleur ami de l’homme. Un bon gros roman touffu, ambitieux, mais accrocheur, parfait pour le chalet, la plage, le hamac, alouette.
Phrase lyrique cueillie au passage :
« L’érable, qui brandissait une supplique à la lumière, n’obtenait que des guêpes - flammes éclatantes – en guide réponse. »


Si je reste. Gayle Forman. Oh! Éditions
On claironne partout que c’est le nouveau « Twilight », cette série sur les vampires qui s'est vendue à des millions d’exemplaires. On y suit une adolescente plongée dans le coma à la suite d’un accident. Elle hésite entre rester en vie, malgré les souffrances à venir, ou choisir la voie facile, dans ce cas-ci la mort. L’auteure est habile à faire vibrer la corde sentimentale mais son récit frôle parfois le mélodrame… Le livre n’est ni mauvais, ni exceptionnel. Toutefois, le voilà déjà promu au rang de phénomène commercial (traduction dans 20 langues et une adaptation au cinéma annoncée…) La locomotive du marketing roulera à pleine vapeur et ce roman qui ne sort pas de l’ordinaire aura sans doute des ventes extraordinaires.
Phrase évocatrice cueillie au passage:
« C’est Yo-Yo Ma. L’Andante con poco e moto rubato. Les notes basses du piano s’égrènent, tel un avertissement, puis le son du violoncelle s’élève – la musique d’un cœur qui saigne. Et c’est comme si quelque chose en moi implosait. »

mercredi 20 mai 2009

Parler de caca énerve les enfants



Parler de caca énerve les enfants. Et pas juste un brin. Beaucoup. La grande surexcitation. Je m'en doutais bien un peu (après tout, j'en élève deux...) mais j'en ai récemment fais le constat, de façon indéniable et irréfutable.

Mais commençons par le début. Quand j'ai entamé l'écriture de mon troisième roman de la série des Babette (pour les 7-9 ans), j'avais idée de m'aventurer sur la pente glissante du scatologique. La stratégie était un peu racoleuse, je l'avoue. Je voulais faire rire les enfants avec des allusions au caca, tout en élargissant leur vocabulaire et en les hameçonnant solidement dans mon histoire. Étant prudente de nature, avant de me lancer dans un savant traité sur les excréments, j'ai fais un sondage trrrrrès scientifique auprès de quelques enseignantes.

J'ai demandé à une demi-douzaine de profs si elles croyaient que d'aborder le sujet si délicat du caca dans un roman pour premiers lecteur pouvait poser problème. Est-ce que le tabou restait encore suffisamment ancré pour empêcher certains enseignants de lire le livre avec leurs élèves?

La première réponse reçue m'a estomaquée. Une enseignante m'a en effet raconté que dans son école, certains parents étaient montés aux barricades pour protester contre l'irrésistible et désormais classique album La petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête. Ça m'a scié.

Heureusement, d'autres enseignantes m'ont rassurée, m'encourageant à explorer le thème périlleux de la merde, tout en précisant que le sujet allait sûrement énerver les élèves. J'en ai eu la preuve la semaine dernière, lors de mon passage à l'école St-Paul, dans le secteur Hull.

Pour rendre mon animation d'auteure plus interactive, j'avais décidé de faire une saynette avec les marionnettes qui sont les personnages du roman. Bien que les élèves avaient lu Les marionnettes de Babette, ils ont été surpris quand je leur ai proposé de reprendre la mini-pièce présentée dans le livre. J'ai distribué les répliques à de courageux volontaires. Ces apprentis-acteurs ont joué leur rôle avec un sérieux qui était tout à leur honneur. Ça donnait ceci:

Le chat angora a fait caca sur le sofa.  
 La chienne jalouse laisse sa bouse sur la pelouse.
 Le babouin taquin étend son purin sur le coussin de satin. 
 Le requin coquin lâche son crottin sur le sous-marin.
La marmotte boulotte fait ses crottes dans ses culottes.


Les enfants ont ri, ils ont ri, ils ont ri, ri, ri. Il a fallu plus de cinq minutes pour ramener le calme en classe. La maîtresse riait aussi, peut-être un peu jaune (je ne suis pas certaine et je n'ai pas osé lui demander) mais elle riait.

Comme j'avais affaire à des citadins, j'ai dû expliquer le sens des mots bouse, crottin et purin. À chaque explication, les enfants poussaient des “ouache!” ravis.

Je suis repartie soulagée de ne pas avoir été évincée manu militari de la classe, satisfaite du succès de l'expérience et heureuse d'avoir pu dilater la rate de vingt-huit jeunes. Je suis repartie en espérant qu'au-delà de la rigolade sur le crottin et le purin, les enfants se souviendraient que les livres peuvent leur offrir des surprises et du rire...

lundi 18 mai 2009

L'histoire derrière l'histoire

J'ai la chance de travailler avec de bonnes directrices littéraires (je mets le mot au féminin car elles sont toutes des femmes, à l'exception d'un... l'incontournable et l'inénarrable Yvon Brochu, pour ne pas le nommer.) Mes directrices littéraires sont respectueuses, rigoureuses et exigeantes.

J'admire la patience, l'humilité et la diplomatie de ces “éminences grises” de l'édition, qui travaillent dans l'ombre, loin des feux de la rampe. Agissant à la fois comme conseillères, critiques et coach, elles se penchent pendant des heures sur la prose d'un auteur, travaillant à l'amener un peu plus haut, un peu plus loin. Pourtant, elles n'auront jamais le crédit pour avoir contribué à transformer un livre médiocre en un livre acceptable, un roman faible en un roman fort.

Je fréquente assidûment le blogue d'une directrice littéraire américaine, qui travaille chez Scholastic. Contrairement à la plupart de ses collègues, Cheryl Klein s'est retrouvée (un peu malgré elle) devant les feux des projecteurs il y a quelques années, pour son travail d'éditrice sur les manuscrits de l'édition américaine de Harry Potter.

Elle a récemment décrit sur son blogue le travail d'accompagnement qu'elle a fait sur le premier roman d'un certain Francisco X. Stork. Pour ceux qui s'intéressent à l'écriture, à l'édition, au processus complexe et délicat de la maturation et publication d'un livre, son témoignage candide, instructif et émouvant vaut le détour. Je résume en français pour vous, mais pour lire le texte intégral en anglais, c'est ici.

Cheryl Klein commence d'abord par décrire ses émotions après la première lecture du manuscrit, un roman pour ados dont le personnage principal, Marcelo, souffre d'autisme. À la fois émue, impressionnée et stimulée par le manuscrit, l'éditrice sent que cette histoire lui a permis d'élargir sa vision du monde.

Elle nous entraîne ensuite à l'arrière-scène, avec une description détaillée du processus d'édition. Elle a demandé à l'auteur de lui écrire une lettre afin de lui expliquer les thèmes de son roman. Francisco Stork lui a donc envoyé une lettre de trois pages, où il explique ses intentions, le cheminement psychologique et spirituel de son personnage, l'essence de son histoire, etc. Cette lettre est devenue la boussole dont ils se sont servie tout au long de la longue traversée des révisions.

Ensemble, ils ont pétri, refaçonné l'intrigue principale et les trois sous-intrigues du roman. L'éditrice a rédigé un plan détaillé et illustré de l'intrigue (ce qu'elle appelle ses “bookmaps”), un outil visuel permettant d'analyser minutieusement le rythme du roman, la logique de l'intrigue, l'évolution des personnages, etc. Après avoir travaillé en long et en large sur la structure de l'histoire, l'éditrice et l'auteur se sont attaqués à la langue, au style, ce que les anglophones appellent le “line-editing”, les corrections phrase par phrase.

Dans le cadre de ce processus, étalé sur plusieurs mois, Stork estime qu'il a ré-écrit environ la moitié du livre. Tout ce travail a porté fruit, car le roman a déjà reçu de nombreuses critiques élogieuses et semble s'enligner sur la voie des best-sellers.

Pour certains auteurs, ce processus de révisions semblera long, ardu, minutieux à outrance, du coupage de cheveux en quatre. Moi, au contraire, ça m'emballe d'y prendre part (comme auteure) et ça me stimule de lire comment d'autres le font. J'adore voir ce qui s'est passé derrière le rideau, comment on a “sculpté” un manuscrit, l'amenant du point A au point B. Comme auteure, je retire inmanquablement quelque chose d'utile à lire “l'histoire derrière l'histoire”.

En plus, ça me rassure et m'enchante de voir la passion et l'engagement des gens du monde de l'édition. Ça me ravit et me stimule de voir une directrice littéraire mettre avec autant de fougue son énergie créatrice au service d'un livre. Ça me réconcilie (un peu) avec certains aspects crève-coeur de la publication.