mardi 29 décembre 2009

Quand les créateurs suivent leurs élans du coeur



J’ai déjà dit ici à quel point j’aimais les artistes engagés. Et cette semaine, je suis tombée sur le blogue d’une auteure/illustratrice bourrée de talent et bellement engagée.

Elle s’appelle Élise Gravel et quand je fais des animations scolaires, il m’arrive souvent de voir ses albums dans les classes. J’ai aussi vu des quantités de dessins d’enfants mettant en scène des monstres abracadabrants, inspirés par son désopilant répertoire de bibittes drôlement laides.

J’aime le côté irrévérencieux et joyeusement dénonciateur de ses livres, surtout celui qui se moque de la mode et celui qui se moque de la surconsommation.

Et bien, voilà-t-y pas qu’au fil de mes furetages sur le Web, je découvre qu’elle a non seulement une présence fort intéressante sur la Toile, mais qu’à la veille de Noël, elle s’est lancée dans une initiative montrant qu’elle ne s’engage pas seulement à travers ses mots et ses images, mais aussi par des actions concrètes.

Via son blogue et Facebook, Élise Gravel a décidé de vendre quelques illustrations originales, puis des cahiers fabriqués avec des matériaux récupérés, au profit de divers organismes. Celui-ci qui œuvre partout dans le monde. Celui-ci qui œuvre au Canada. Celui-ci qui met l’accent sur les enfants. Et celui-ci qui lutte pour les droits de la personne.

Il suffisait que les gens lui envoient une copie de leur reçu de don à l’un de ces organismes pour qu’Élise Gravel leur envoie ensuite son illustration. En lisant ça, je me suis dit, quelle sapristi de bonne idée! Pourquoi je n’ai pas pensé à faire ça avec mes livres?! Mais, comme je l’ai déjà dit ici, rien de mal à copier une idée géniale…

Et comme de fait, d’autres artistes, emballées par l’idée d’Élise Gravel, ont décidé de l’imiter. Et à en juger par les commentaires sur son compte Facebook, l’initiative pourrait même faire des petits en 2010, avec un possible projet de communauté artistique réunie autour d'initiatives philanthropiques.

Ça me requinque toujours de voir des auteurs cultiver l’altruisme. J’aime les créateurs qui suivent leurs élans du cœur. Et même si le web a donné lieu à d’innombrables dérapages, je trouve tout de même formidable qu’il permette de concrétiser aussi aisément des mouvements de générosité.

dimanche 27 décembre 2009

Se lover dans une bulle fabuleuse


J’ai été gâtée pour Noël. Mon papa m’a fabriqué deux superbes bibliothèques sur mesure, pour mettre de chaque côté de notre cheminée.

Mais si j’avais une maison avec quelques pièces libres, que je pourrais transformer en royaume du livre, en tanière de lecture, en repaire du roman, je les meublerais avec ces bibliothèques.

Celle ci-dessus, qui démontre que même si la lecture nous rend immobile, elle est aussi un magnifique mouvement de l’esprit.

Celle-ci dessous, pour son caractère insolite et peu pratique. Aussi parce qu’elle témoigne qu’il n’y a rien de mieux que la lecture pour voyager.



Et celle-ci, parce qu’elle nous rappelle que lire, c’est se lover dans une bulle fabuleuse.

jeudi 24 décembre 2009

Joyeux Noël!!!



À vous tous et toutes, un très Joyeux, radieux, harmonieux Noël!

Avec deux petits clins d’œil rétros, ci-dessus et ci-dessous (pour le clip, faut mettre le son...)

mercredi 23 décembre 2009

Glissade ininterrompue



Quand on est critique littéraire, lire un livre, c’est comme se lancer dans une glissade sans cesse interrompue. Dès qu’on prend de l’élan, dès qu’on se laisse emporter par l’histoire, il faut aussitôt s’arrêter pour noter une idée. Il faut sans cesse casser le flot de sa lecture pour écrire une impression ou une opinion.

Mais là, depuis quelques jours, je suis une chroniqueuse en vacances. Et oh, délectation, je glisse avec fluidité dans mes lectures sans AUCUNE interruption ou suspension pour cause de critique. J’ai l’impression de faire l’école buissonnière.

Oh, la délicieuse détente de lire sans tenir un crayon à la main, sans me sentir obligée de coller un post-it par-ci ou par là, pour marquer les passages faibles ou probants. Pas besoin de me demander constamment: est-ce que c’est bon, un peu, beaucoup ou pas du tout? Est-ce que j’aime un peu, beaucoup, pas du tout? Et si j’aime, pourquoi? Et si je n’aime pas, pourquoi?

Pas besoin de me triturer les méninges sur comment je vais dire de façon diplomate et constructive que ce livre est faible. Pas besoin de chercher des façons originales de dire, de façon convaincue et convaincante, que ce livre est un incontournable. Pas besoin de chercher des images ferventes et ardentes pour donner aux auditeurs de Radio-Canada le goût de courir acheter ce bouquin.

Mon Noël à moi est déjà commencé depuis quelques jours. Depuis que je peux lire en m’amusant, en m’égarant dans les mots, sans regarder en arrière ou en avant. Je suis complètement, entièrement, totalement immergée dans l’histoire. C’est l’évasion totale et je jubile.

En prévision de ce moment, j’avais accumulé une pile de livres. Et le plus excitant, c’est que je vais pouvoir lire deux nouveautés de mes auteures fétiches. Je suis déjà plongée dans le roman de l’une et je sais que je trouverai sous l’arbre de Noël le tout nouveau bouquin de l’autre. J’en profiterai aussi pour lire ce livre d’un ami. Et j’oserai même lire ce titre, malgré la peur d’être déçue après entendu le concert unanime de louanges dithyrambiques.

Sur ce, je m’en vais me lancer dans une belle et longue glissade (ininterrompue) de lecture. Et en ce tourbillon du temps des Fêtes, je vous souhaite de belles et longues plages de temps pour lire.

lundi 21 décembre 2009

La pandémie de l'indécence


Dessin: Ahmed Mesli.

C’est à reculons que je suis allée me faire vacciner contre la H1N1. J’y croyais à moitié. Je n’ai pas aimé le prêchi-prêcha, les exhortations répétées et enfoncées à coup de marteau médiatique. Je n’ai pas aimé qu’on culpabilise les gens… « C’est une responsabilité sociale… Se faire vacciner, c’est être une bonne citoyenne…»

Mais bon, parce que je crois en la responsabilité sociale, parce que je voulais protéger mes enfants de ce virus imprévisible, je suis allée prendre ma piqûre en amenant la famille au grand complet.

Trois semaines plus tard, je suis baba devant le silence subséquent. Cette fameuse et dangereuse pandémie semble s’être volatilisée comme neige au soleil.

Mon malaise a doublé après avoir lu les propos de ce médecin français, Marc Gentilini, spécialiste des maladies infectieuses et ancien président de la Croix-Rouge française. Voici ses principaux constats sur la H1N1:
- L'OMS a surestimé cette épidémie, qui n’a pas eu la gravité apocalyptique annoncée.
- Cette opération a été une arnaque économique, un achat incontrôlé de vaccins sous le prétexte du « principe de précaution ».
- Et le docteur Gentilini de déclarer: « Le poids qu'on attribue à la grippe H1N1 est indécent par rapport à l'ensemble de la situation sanitaire dans le monde. C'est une pandémie de l'indécence. Quand je regarde la situation de la planète, j'ai honte de voir tout ce qui a été entrepris pour éviter cette grippe dont on ne sait que peu de chose. »
- L’argent investi pour la grippe en France aurait suffit à boucler le budget de la FAO pour nourrir le un milliard d'affamés annuels.

Un. Milliard. De gens qui ont faim dans le monde.

dimanche 20 décembre 2009

Du rouge à lèvre en ski


Je suis allée ce samedi faire ma première randonnée de l’année en ski de fond, dans le parc de la Gatineau. Elle était beaucoup plus longue que prévue, mais il arrive parfois qu’on sous-estime la difficulté du parcours et qu’on surestime sa forme physique…

Donc, je suis au kilomètre 11 avec ma cadette. Il nous reste encore 4 kilomètres à parcourir avant d’arriver au stationnement, avant de pouvoir reposer nos jambes épuisées, nos bras douloureux et vérifier la grosseur de nos ampoules aux pieds. Ma fille de 12 ans est d’humeur massacrante à cause de cette randonnée de ski qui dure depuis deux heures et demi et qui lui a été imposée par ses parents cruels.

Nous croisons une skieuse, qui arrive en sens inverse. Elle est très élégante dans son manteau gris, ses pantalons noirs moulants et luisants, qui me rappellent une peau de phoque. La skieuse nous fait un immense sourire. Je remarque aussitôt ses lèvres (impossible de ne pas les remarquer!!!) d’un aveuglant rouge vin.

Je me tourne vers ma fille
- T’as vu ses lèvres?
- Ouan… grogne-t-elle.

Je laisse passer quelques minutes, au cours desquelles je suis traversée par une inspiration fulgurante. Pour dérider ma fille, je lui annonce que j’ai un poème à lui réciter.
- Tu veux l’entendre?
- …
Ignorant son silence éloquent et n’écoutant que mon courage de mère déterminée à égayer son enfant éplorée, je lui récite :

La skieuse était parfaitement parée
Pour la forêt.
Contre la neige ivoire
Son rouge à lèvre couleur sang
Tranchait.
Elle voulait se faire belle
Au cas où elle aurait rencontré...
Un ours.

Aucune réaction chez ma fille. En fait, une petite réaction. Elle me regarde en plissant le nez avec un air de suprême condescendance, l’air de dire, ma mère est complètement cinglée. Et moi, pauvre innocente, j’ai fait l’erreur de lui demander :
- Pis, qu’est-ce que t’en penses?
- Je pensais que les poèmes, fallait que ça rime, a-t-elle bougonné.

On a fait le reste du trajet en silence.

jeudi 17 décembre 2009

On ferait n’importe quoi pour les aider… sauf…


J’ai déjà raconté à que point j’aimais l’art engagé. Pendant que le Canada reçoit le prix de la honte à Copenhague et que les Conservateurs font de vaillants efforts pour saboter ce Sommet crucial, des artistes n’ont pas peur de s’engager.

Un sculpteur danois, Jens Galschiot, a créé cette œuvre qui me hante. Pour la durée du Sommet, sa saisissante statue a été installée dans le port de Copenhague, juste à côté de la célèbre petite sirène.

La sculpture en bronze représente une Dame Justice plutôt adipeuse, qui symbolise les pays industrialisés. Bien assise sur le dos d’un Africain décharné, la ventripotente Justice tient sa balance de façon ostentatoire, comme pour signifier qu’elle incarne l’égalité.

Mesurant trois mètres de haut, la sculpture porte un nom hautement évocateur: «Survival of the Fattest», jeu de mot très clair sur la maxime de Darwin, «survival of the fittest»…

Jens Galschiot a voulu montrer que les pays riches ont les ressources financières pour éviter les impacts négatifs des changements climatiques. Pendant ce temps, la sécheresse, les tornades et la faim ravagent l’Afrique et l’Asie… Au dire de l’artiste, la grosse femme déclare: « Je suis assise sur le dos d’un homme. Il s’enfonce sous mon poids. Je ferais n’importe quoi pour l’aider. Sauf descendre de son dos.”

Pour protester contre la position de notre gouvernement sur les changements climatiques, cliquer ici. Un simple clic de souris, ça n’est pas très astreignant comme engagement. Mais c’est déjà ça de gagné. Et s’il y avait 500 000 clics, peut-être que…

mercredi 16 décembre 2009

Mensonge et vérités



(Crédit photo: ma fille C., 14 ans, été 2009, en Chine)

Bon, bon, puisqu’on me le réclame (merci M. de mon cœur, ça me fait un petit velours de savoir que tu attends mes mots...), voici donc le mensonge parmi mes vérités.

Vérité 1
Oui, j’ai travaillé comme bénévole dans le mouroir de Mère Térésa à Calcutta, alors que la petite-grande-dame était encore vivante. C’était en 1987. Je passais trois mois en Inde grâce à une bourse Nord-Sud de la FPJQ pour aller faire une série de reportages sur les sans-abris. J’ai travaillé au mouroir dans l’espoir d’obtenir une entrevue avec la célébrissime religieuse. Quand j’ai finalement réussi à lui parler (avant une messe), elle a gentiment refusé.

Au mouroir de Mère Térésa, je n’ai vu personne mourir. J’ai nourri à la cuillère des personnes âgées et j’ai lavé à l’éponge une dame qui devait avoir au moins 90 ans. Je me suis sentie très humble devant son grand âge et sa dignité.

Vérité 2

Hé oui, j’ai gagné le prix de l’ACELF en 1982, ex-aequo avec le défunt Raymond Plante, qui le remportait pour La machine à beauté. Jean Garon nous a remis notre prix (un certificat et un chèque de 1000$) sur les Plaines d’Abraham. En l’écoutant prononcer son petit discours d’occasion, j’ai compris qu’il était bien plus à l’aise avec les chiffres qu’avec les lettres… J'ai gagné ce prix pour un roman intitulé Pistache et les étoiles, publié chez Héritage. Deux décennies plus tard, je n'ose même pas regarder cette oeuvre de jeunesse qui traîne encore dans quelques bibliothèques d'écoles...


Vérité 3

Pour ceux qui me perçoivent comme étant pudique (avec raison), je le suis. Et non, je ne me suis jamais promenée en public les fesses à l’air. Mais j’ai vraiment gagné un prix de la Fédération québécoise de naturisme pour un reportage sur les naturistes publié dans LeDroit, en août 1988.
Je suis allée visiter un terrain de camping pour naturistes, pour ensuite rédiger un article qui s’intitulait: "Des milliers de Québécois choisissent de vivre nus ». Je vous en aurais bien mis un extrait mais malheureusement, les archives du Droit ne sont pas accessibles sur le Web.
Parlant de fesses à l’air, ma fille aînée suit dans mes traces, car bien qu’elle soit très pudique, elle s’est cependant montrée très zélée, cet été, pour documenter les petits popotins à l’air des bébés chinois.

Vérité 4
J’ai pleurniché de peur sur la grande Muraille de Chine. Mais oui, à ma grande honte, c’est vrai. Peur des hauteurs, peur du pont, peur du vide. J’ai raconté l’épisode ici.

Vérité 5
Je travaille sur le même roman depuis plus de 18 ans.
Et oui. Je l’ai commencé il y a très très (trop!) longtemps ce roman pour ados. Il faut dire qu’entretemps, j’ai publié une quinzaine de livres et écris quelques autres. Mais celui-là, le récalcitrant, a fait plusieurs fois l’aller retour entre le tiroir et ma table de travail. Mais là, j’ai finalement accouché. Ce roman pour les 13-16 ans (mon plus long roman à ce jour – 62 000 mots) paraîtra ce printemps chez Québec Amérique.

Vérité 6
J’ai été rédactrice en chef de la revue Quincaillerie-Matériaux.
Aussi étrange que cela puisse paraître, je fus, dans ma prime jeunesse, une spécialiste des pinceaux et des marteaux. Ce poste de rédactrice dans la section des revues spécialisées de Maclean Hunter a été mon premier emploi comme journaliste. J’y ai fais mes classes.
J’ai eu beau fureter sur le web, la seule mention que j’ai trouvée de ma défunte revue est dans la banque de données de la Bibliothèque nationale d’Australie! On aura tout vu.

Mensonge 1
Durant mes années de critique littéraire au Droit, j’ai interviewé bien des auteures et auteurs, mais malheureusement, pas Benoîte Groulx. Comme l'a si bien dit l'Encre, c'est un fantasme... Bravo à Mireille et Andrée-Anne qui ont vu juste.

lundi 14 décembre 2009

Quand je vais chez les nudistes…


J’ai été taguée par Venise, qui a aussi taguée Claude et d'autres bloggeurs.

Alors, voici le fonctionnement de ce jeu. Je dois mettre sur écran sept confidences, parmi lesquelles figure un mensonge. À vous maintenant de détecter la fausseté.

1. J’ai travaillé comme bénévole dans le mouroir de Mère Térésa à Calcutta, alors que la petite-grande-dame était encore vivante.
2. Jean Garon, Ministre de l’Agriculture il y a de cela bien des lustres, m’a remis le prix littéraire de l’ACELF. Ouaipe. Après tout, littérature rime bien avec agriculture…
3. J’ai interviewé la journaliste/écrivaine/féministe Benoîte Groulx.
4. J’ai pleurniché de peur sur la grande Muraille de Chine.
5. J’ai gagné un prix de la Fédération québécoise de naturisme pour un reportage sur les nudistes.
6. Je travaille sur le même roman depuis plus de 18 ans.
7. J’ai été rédactrice en chef de la revue Quincaillerie-Matériaux.

La réponse... demain.

Et pour poursuivre ce divertissement espiègle, je vais taguer Camille… question de savoir s’il est ou pas un bon menteur…

«Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.»



Espoirs: 365 clés de la pensée occidentale. Olivier et Danielle Föllmi, Collection Sagesses de l'humanité Éditeur de la Martinière.

À la fois album photos et recueil de pensées, ce luxueux bouquin offre 365 citations, une pour chaque jour de l’année. Les auteurs ont vendangé les pensées les plus brillantes de divers poètes, philosophes ou écrivains. En voici deux que j’ai aimées:
«Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » Martin Luther King.

Et celle-ci, qui s’accorde bien avec mon état d’esprit ces jours-ci: « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » Socrate. (399 av. J.C.)






Michèle Matteau, Du chaos pour une étoile. Éditions L’Interligne, 264 pages

Après sa trilogie À ta santé, la vie, Michèle Matteau nous revient avec un roman un brin mélancolique, illuminé ça et là de clignotements d’espoir. Cette auteure d’Ottawa nous montre un village de campagne qui se vide de sa vie, en parallèle avec le questionnement existentiel d’une quincagénaire. L’écriture est fluide, avec juste le bon dosage de lyrisme et de réalisme. Posant l’éternelle question : «quel est le sens de la vie?», Michèle Matteau a l’élégance de ne pas offrir de réponse toute faite.

J’y ai relevé ce passage assez intéressant et plutôt comique, où l’auteure (par la bouche d’un de ses personnages) égratigne les écrivains, les jugeant trop souvent imbus d’eux-mêmes: «Tu vois, les musiciens, les comédiens, les danseurs, ce sont des artistes qui doivent côtoyer sans cesse d’autres talents et faire équipe avec eux. Ils ont besoin des autres pour se produire. (…) Les écrivains sont de grands solitaires qui jonglent avec des mots dont l’effet leur échappe. Leur public reste la plupart du temps muet. Les applaudissements sont rares pour un livre. Il leur faut donc se rassurer sans cesse: les plus fragiles revêtement l’armure du triomphalisme et les plus naïfs se gonflent d’une prétention qui frise parfois l’indécence.»




Les jumelles de Highgate. Audrey Niffenberger. Oh Éditions. 413 pages.

L’auteure américaine Audrey Niffenberger a connu un succès bœuf avec son premier roman The Time Traveller’s Wife, titré en version française Le temps n’est rien, cette histoire un peu abracadabrante mais très accrocheuse d’un homme souffrant d’une maladie génétique unique qui le fait voyager dans le temps malgré lui.

La revoici cinq ans plus tard avec un deuxième roman, pour lequel elle a reçu une avance de 5$ millions. C’est dire à quel point son livre était attendu. Elle plonge de nouveau sa plume dans le surnaturel, avec l’histoire d’un fantôme qui hante ses proches. Le style n’a rien d’extraordinaire, il y a plusieurs longueurs, le thème n’est pas aussi romantique que son premier roman mais malgré ses défauts, « Les jumelles de Highgate » dégage un petit quelque chose d’envoûtant qui nous accroche.



À voix basse, Charles Aznavour, Éditions Don Quichotte, 226 pages.

À 85, Charles Aznavour a encore de l’énergie pour écrire. La preuve en est ce bouquin qui n’est ni une biographie, ni des mémoires (been there, done that), mais un journal hybride où il rédige souvenirs, confidences, réflexions sur la vie de star et surtout, des conseils aux artistes en devenir. Après avoir joué dans plus de 60 films, composé plus de 1000 chansons, chanté dans cinq langues et vendu plus de 100 millions de disques à travers le monde, Aznavour est sans conteste le chanteur français le plus connu dans le monde. Ce monstre sacré offre ici son testament, égrenant quelques perles de sagesse et nous offrant de poétiques moments d’écriture où l’on reconnaît bien le lyrisme du parolier de La bohême.

jeudi 10 décembre 2009

Les bonhommes de neige : une espèce en voie d’extinction


L’inspiration arrive de toutes sortes de façons, inespérées et inattendues. Cette photo, affichée sur mon babillard depuis quelques semaines, me sert d’inspiration pour un nouvel album. Une histoire que j'ai intitulée Cent bonhommes de neige.

En Lituanie, bonhomme de neige se dit « homme sans cervelle ». À l’hiver 2005, des Lituaniens ont construit 141 bonhommes de neige devant leur Parlement, pour protester contre leur gouvernement. Un bonhomme pour chaque député.

J’ai bien envie d’aller sur notre Colline parlementaire à Ottawa, assembler quelques bonhommes de neige pour nos élus sans cervelle. Nos élus qui se traînent les pieds pour lutter contre le réchauffement de la planète. Nos élus qui présenteront une position honteuse à Copenhague. Nos élus qui feront des bonhommes de neige une espèce en voie d’extinction.

mardi 8 décembre 2009

De Bombay à Bombay


Quand je rêvais de publier des livres, je n’ai jamais imaginé qu’on me lirait à l’étranger. Ailleurs que dans mon patelin, ma province ou mon pays. Dans une langue autre que la mienne.

Eh bien, ça y’est, on peut maintenant me lire de Bombay aux États-Unis à Bombay en Inde. Grâce à mon éditeur québécois qui a su si bien s’entendre avec un éditeur américain.

J’ai même découvert que dans le Bombay des Gandhis, mes livres se vendent pour 424 roupies.

Les jours où les mots refusent de s’aligner sagement et ou le clavier refuse de coopérer, je m’amuse à rêvasser à qui sont ceux qui lisent mes mots traduits en anglais. Ou à qui sont ceux qui admirent les illustrations cocasses de mon ami Philippe.

Peut-être qu’un petit Africain-Américain de Walla Walla rigole devant l’illustration du pire moment pour péter?



Peut-être qu’une petite fille de Tacoma barbouille sur l’illustration du meilleur moment pour se faire un ami?



Peut-être qu’un petit Mexicain de Fresno devine déjà qui sauvera Bonobo, avant même d’arriver à la dernière page…

Et je m’émerveille de cette magie de l’édition, qui permet de voir ses mots voyager vers des cieux aussi étrangers qu’exotiques.

dimanche 6 décembre 2009

Qu'est-ce qu'un livre? "Un livre c’est un lecteur"


J’ai vu beaucoup de profs rassemblés en un seul lieu.
J’ai vu beaucoup de profs aux yeux pétillants.
J’ai vu beaucoup de profs discuter avec ferveur d’éducation.
J’ai vu beaucoup de profs attentifs, prendre des notes comme des élèves zélés, tout ça dans le but d’être de meilleurs profs.

Ceux qui prétendent que les profs n’ont pas le feu sacré n’avaient qu’à aller faire un tour au Palais des congrès de Montréal, la semaine dernière. S’y tenait le congrès annuel de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants du primaire. Il y avait là pas mal de monde pour qui l’éducation n'est pas qu’un simple djob mais bien une vocation.

Je donnais à l’AQEP un atelier sur le métier d’auteure jeunesse ainsi que de petits trucs pour donner aux jeunes la piqûre de la lecture. Les participantes (comme il n’y avait que deux hommes dans l'auditoire, je décide qu’ici le féminin l’emporte) ont été épatantes. Elles m’ont écouté attentivement, ont posé des questions pertinentes et ont même ri quand j’ai tenté, par-ci, par-là, de faire un peu d’humour.

J’avais hésité avant de présenter une proposition d’atelier à l’AQEP, car tous les animateurs d’atelier y sont à titre bénévole,sans compter les coûts de déplacement et la journée de travail perdue. Mais je n’ai pas perdu mon temps au Congrès, oh que non! J’y ai récolté moult bénéfices :
- Ce témoignage spontané d’une enseignante de Mont-Tremblant, venue me voir après mon atelier pour me dire: «Vous êtes mon coup de cœur du congrès.» Je l’aurais embrassée sur le champ mais je n’ai pas osé à cause de la H1N1…
- Ce lunch stimulant avec Monique Noël-Gaudreault, la pétillante rédactrice en chef de Québec Français.
- Et, la cerise sur le sundae : l’atelier de Brigitte Moreau, une passionnée dont l’ardeur à disséminer la littérature jeunesse n’a d’égale que sa connaissance du domaine. Cette ancienne bibliothécaire désormais libraire présentait un atelier sur l’album au 3e cycle. Avec exemples à l’appui, elle a montré le fabuleux potentiel de l’album comme outil pédagogique.

Pour apprécier l’expertise, l’érudition et la richesse de la réflexion de Brigitte Moreau, suffit de se rendre sur l’excellent blogue de la librairie Monet. Elle y signe entre autres, un texte fascinant sur «Les dangers de la littérature jeunesse». Dans ce billet/cri du cœur, elle dénonce avec éloquence le « succédané littéraire, cette littérature pseudo-littéraire-para-pédagogique-machin. »
- En introduction à son atelier, Brigitte Moreau nous a offert cette perle, une citation d’un écrivain d’un autre siècle. À la question, Qu’est-ce qu’un livre?, ce monsieur (j’ai oublié son nom, désolée)répond: «Un livre c’est un lecteur.»

jeudi 3 décembre 2009

Le syndrome de la page blanche? Foutaise dit-il...



Le syndrome de la page blanche? Foutaise prétend Philip Pullman, qui déclare: «Je n’y crois pas. Les plombiers n’ont pas le syndrome du plombier et les médecins n’ont pas le syndrome du médecin. Pourquoi les écrivains devraient-ils être la seule profession où l’on se donne un mot spécial pour définir la difficulté de travailler et qu'en plus, ils s’attendent à recevoir de la sympathie pour cela?"

Et vlan! Je viens de perdre mon échappatoire pour procrastiner…

mardi 1 décembre 2009

Une histoire de main tendue

Deux fois la même semaine, ce n’est plus un hasard. C’est peut-être un signe. Je le prends comme une exhortation du destin et je vous raconte.

D’abord, il y eu Paul Piché, qui en entrevue au Devoir, déclarait: «Et moi, ça m'émeut, la solidarité! Au boutte! Ça m'émeut au cinéma, dans la musique, dans la vie. Moi, ce qui m'intéresse depuis le début dans la chanson, c'est le geste, de l'individu au collectif. La main tendue.»

Et puis, deux jours plus tard, voilà que je tombe sur une histoire de solidarité. Une histoire qui parle justement de main tendue.

Ça se passe durant les Jeux paralympiques, lors d’une course de 100 mètres. Au signal de départ, les neuf athlètes handicapés se mettent à courir. Un des participants trébuche, s’étale et se met à pleurer. Les autres coureurs s’arrêtent et le consolent. Ils marchent jusqu’à la ligne d’arrivée, ensemble. La foule les applaudit pendant de longues minutes.

J’ai déjà parlé ici de mon admiration sans borne pour ceux qui ont cette élégance de l’âme, cette magnanimité rare de faire passer les autres avant eux-mêmes. Et ce que le petit film ci-dessous nous montre en prime, c’est que la solidarité génère aussi de la joie pure.

dimanche 29 novembre 2009

Pas de calembredaines ni de fariboles ici



Samedi matin, je me sentais un peu comme le Père Noël aux Divines Tentations. J’avais une hotte bourrée de livres pour les jeunes : albums, documentaires, romans, bandes dessinées, romans graphiques… Toutes ces couvertures luisantes et colorées qui vous sautent aux yeux, ces intrigues qui vous harponnent… Vous pouvez écouter ici ça vous chante, mais je reprends ci-dessous quelques bribes aguichantes.

Une grande joie. Texte de Kate DiCamillo. Illustrations de Bagram Ibatoulline. Éditions Scholastic. Texte français d'Hélène Pilotto Couverture rigide 4 à 8 ans 32 pages.

Cette auteure américaine archi-connue a gagné un tas de prix, dont le prestigieux Newberry. On a fait des films avec ses livres : La quête de Despereaux et Winn-Dixie.

Dans cet album tout simple sur l’empathie, elle montre avec peu de mots et grande éloquence comment les enfants ont parfois davantage de compassion que les adultes.Kate DiCamillo donne aussi une formidable leçon d’écriture, en montrant comment simplicité = beauté.



Le monde en chiffres. Élisabeth Combres. Gallimard Jeunesse.

Dans ce documentaire qui a la forme d’un globe terrestre, l’auteure associe un mot, un chiffre et une image pour mieux comprendre notre planète. Elle y aborde l’école, les jeux vidéo, la guerre, le climat, les sports, etc. Comme statistiques, ça ressemble à ceci:
- 3,2 planètes : C'est ce qu'il faudrait si toute l'humanité vivait comme les habitants des pays riches.
- 1 milliard : nombre de personnes connectées à Internet dans le monde, donc 1 humain sur 7.
- 8 femmes chefs de gouvernements sur 192



Pavel. Plus vivant que toutes les pornstars réunies. Texte de Matthieu Simard. La Courte Échelle.
Le premier titre de cette série de 13 livres été finaliste aux prix du GG, catégorie littérature jeunesse. Ce roman aussi punché qu’un martini triple sec, a pour cadre un collège privé et huppé. On y parle d’un ado de 16 ans qui est marginal, sans ami, en amour et intrigué par le nouvel étudiant, un mystérieux Russe nommé Pavel.
Les thèmes ne sont pas nouveaux mais l’écriture est fluide, efficace, souvent coup de poing, avec un narrateur qui manie l’humour noir sans arriver à cacher complètement sa bouleversante vulnérabilité. Pour avoir une idée du ton et de l’originalité du style, y’a qu’à lire les titres des épisodes: Les gens qui pognent, c' est des épais, L'amour m'écœure, J'ai frenché la bouche du diable.

Conçue comme un roman-feuilleton, la série a été publiée en format « comics » et illustrée par un bédéiste. Je n’ai lu que les trois premiers pour ma chronique mais je ne manquerai pas de lire les autres.



Un vaccin pour quoi faire? Texte de Angèle Delaunois. Illustré par François Thisdale. Éditions de l’Isatis. À partir de 4 ans

Voici un sujet d’actualité par les temps qui courent. Il est traité avec intelligence et humour dans ce documentaire à mi-chemin entre l’album et la bande dessinée. Comme dit si bien le professeur Ombilic « (…) en te protégeant par un vaccin, tu protèges également tous ceux qui t'entourent. Cela vaut la peine d'avoir peur durant quelques secondes. »



Zargouille fait le beau. Texte d’Agnès Grimaud et illustrations de Marion Arbona. Éditions Imagine.
Il est gros et pas beau mais tout à fait irrésistible. En plus, il s’appelle Zargouille. Avec un nom comme ça, comment lui résister? Et les deux mamans de Zargouille lui ont même conçu un blogue très chouette. À compter du 1er décembre, la très talentueuse Marion Arbona (qui me confiait au Salon du livre de Montréal qu’elle a illustré pas moins de sept albums cette année!), y offrira un dessin inédit par jour! Comme calendrier de l’Avent, c’est un peu plus original que les chocolats qui goûtent le carton…


Un cadavre au dessert. Robert Soulières. Soulières éditeur.

Après avoir ingurgité le dernier opus de l’inénarrable Robert Soulières, je n’aurai plus jamais peur d’oser planter dans mes écrits des mots que je ne connais pas. Dans cette simili enquête policière (totalement loufoque….) où l’on rigole tout son saoul, l’auteur glisse le mot calembredaine et déclare : «Je ne sais pas trop ce que ce mot veut dire, mais ça fait joli dans la phrase.» Sacré Soulières va, toujours à faire des fariboles…. Pour les esprits à la fois curieux et paresseux, je vous offre en prime un raccourci vers la réponse, ici et ici.

vendredi 27 novembre 2009

Un encan qui régale les regards



Page couverture du programme de l’encan, signée par l’incontournable Philippe Béha.

Il n’y a pas d’amour fou entre les banques et moi, mais je dois toutefois avouer qu’il y en a une qui suscite mon admiration. Et je nomme le Groupe Financier Banque Toronto Dominion, qui contribue beaucoup-énormément-généreusement à un domaine qui me tient à cœur : la littérature jeunesse. Ce groupe donne plus de 10$ millions par année pour promouvoir la lecture chez les jeunes.

D’abord, il y a la Semaine canadienne du livre jeunesse, commanditée par le Groupe Financier Banque TD, qui permet à 35 000 enfants de célébrer chaque novembre le livre, grâce à des tonnes d’activités toutes aussi irrésistibles que variées. Grâce à cette initiative, j’ai eu le plaisir d’aller faire un tour à Winnipeg et de découvrir ce qu’était un œil de bouc.

Autre grande fête de lecture, qui a lieu durant l’été : le Club de lecture d’été TD, mis en place dans 2000 bibliothèques à travers le Canada. À en juger par les statistiques de l’an dernier, ce Club de lecture donne des résultats pas piqués des vers : plus de 250 000 enfants inscrits officiellement au programme et plus d’un demi million participnt aux diverses activités organisées dans les bibliothèques. Et les sous pour organiser tout ça viennent… devinez de qui?

S’il y une récompense à laquelle moult auteurs et illustrateurs rêvent à toutes les nuits, c’est bien le fameux Prix de littérature canadienne pour l’enfance et la jeunesse, assorti d’une bourse de 25 000$. Ça aussi c’est le Groupe Financier Banque TD.

Et c’est pas tout! Le Groupe Financier Banque TD fait aussi imprimer chaque année 500 000 copies d’un album offert en cadeau à tous les enfants de première année au Canada. C’est un demi-million de livres ça m’sieurs/dames!!!

Cette semaine, j’ai été une observatrice (et non pas une participante, mon portefeuille ne me le permettant pas…) enthousiaste d’un autre événement très chic et très réussi, commandité celui-là aussi par le Groupe Financier Banque TD.

Dans le cadre enchanteur du grand Hall du Musée des Beaux Arts du Canada, on servait mardi soir de minuscules pâtés chinois dans des verres à martini. On servait aussi du vin blanc et du vin rouge à volonté à des dames en décolletés plongeants et à des messieurs aux cheveux gominés.

Tout ce beau monde était venu admirer les illustrations gracieusement offertes par une cinquantaine d’illustrateurs canadiens, pour un encan d’œuvres d’art au profit du Centre canadien du livre jeunesse. Il y en avait pour tous les goûts et tous les genres : pastel, huile, acrylique, aquarelle, pâte à modeler, etc.



Si j’avais plus de blé, j’en aurais acheté au moins la moitié. Et les gens ont été généreux. Les enchères montaient vite et haut pour grand nombre d’illustrations. Le prix le plus élevé payé pour une illustration était de 3 500$, celle-ci haut, de Wallace Edwards pour son album publié chez Kids Can Press. Moi je suis repartie les mains vides mais l’imaginaire repu.

Pour vous régaler les yeux, pour vous envoler dans d’étranges et fabuleuses contrées, pour voir la diversité fabuleuse de talents chez les illustrateurs de chez nous, d’un océan à l’autre, jetez un coup d’œil ici.

mardi 24 novembre 2009

L’art perdu de la patience

S’il y a une qualité que j’admire en grand, c’est la patience. Peut-être parce que je l’ai en si petite quantité. Je m’exaspère vite. Dans une autre vie, j’ai dû avoir un lien de parenté avec Antigone, celle qui voulait tout, tout de suite.

Avec une fabuleuse économie de mots, ce petit film de Constantin Pilavios illustre en images cette indéniable maxime de Musset: «L’homme sans patience, c’est comme une lampe sans huile.»

Ici, le personnage si patient du père me fait chavirer.
J’aime son émerveillement sans cesse renouvelé devant le pépiement du moineau.
J’aime comment il veut à chaque fois pouvoir nommer cette musique.

J’aime sa patience devant l’impatience de son fils.
J’aime la façon dont il le fait taire, d’un geste apaisant de la main.

J’aime sa placidité inébranlable en face la colère de l’autre.
J’aime qu’il ressorte son journal intime comme on brandit un trophée.

J’aime le voir offrir à son garçon cette belle leçon sur l’art perdu de la patience.

lundi 23 novembre 2009

Hourra pour les agapes d’auteures


Le Salon du livre de Montréal me sape mon énergie. Il y a la chaleur, l’air vicié qui assèche la bouche aussi sûrement que l’harmattan. Il y a la foule trop dense qui me donne une sensation d’étouffement. Il y a ces milliers de lecteurs indécis qui cherchent la perle rare mais ne la trouvent pas à ton stand. Et surtout, surtout, il y a cet accablant amoncellement de livres. Ces centaines de milliers de bouquins qui s’étalent à perte de vue et qui ont sur mon désir d’écrire l’effet d’un rouleau compresseur sur une framboise…

Heureusement qu’il y a les auteurs. Et cette année, on s’est retrouvées entre écrivaines, le temps d’une soirée bien arrosée, bourrée de camaraderie et de folichonneries.

Nous étions onze. Pas un mâle autour de la table. Ce qui a d’ailleurs fait l’objet de moult blagues sur l’Homme manquant. Le seul mec qui avait eu le courage d’annoncer sa présence a fini par se dégonfler (je l’entends déjà protester, ce cher Pirate) et nous poser un lapin.

Nous étions onze, de différents âges, de diverses provenances, de tous styles vestimentaires et littéraires.
Il y avait celle qui a tout organisé.
Celle qui a dessiné sur la nappe de papier.
Celle qui ne parlait pas beaucoup mais laissait tomber des perles de sagesse.
Celle qui a un humour inimitable.
Celle qui ressemble aux belles dans les tableaux de Modigliani.
Celle qui avait la réplique rapide et l’ironie sûre au jeu du cadavre exquis.
Celle qui aime les hommes aux beaux yeux fatigués.
Celle qui a imaginé le craquant Zargouille.
Celle qui dessine très joliment les hiboux.
Celle qui ne maîtrise pas son passé simple...
Celle qui a traversé l'Atlantique pour venir frayer au Salon.

Nous avons bouffé trop de frites froides.
Nous avons amplement rigolé.
Nous avons coquinement potiné.
Nous avons badiné avec le serveur, un beau Franco-Ontarien d’Alexandria.
Nous avons joué au cadavre exquis.
Nous avons comparé nos blessures d’égo récoltées dans les tranchées des animations scolaires.
Nous avons échangé nos livres.
Nous avons fait le plein de rire pour des semaines à venir.
Nous nous sommes nourries de cette gaieté et cette complicité qui circulaient autour de notre table.

Toute l’énergie que le Salon m’avait siphonnée, ces agapes d’auteures me l’ont redonnée.
Merci chères collègues.

jeudi 19 novembre 2009

«Mon papa ne pue pas» doit sentir un petit peu bon…


La plupart de mes livres ont été accueillis par un silence médiatique tonitruant.
Pas mon petit dernier.

On en a parlé dans Le Devoir, sous la plume de Josée Blanchette.

Puis dans Le Libraire.

Puis dans LeDroit




Puis dans le 7-Jours

Puis à Radio-Canada en Outaouais.

Puis à Radio-Canada à Québec.

Est-ce le titre qui titille?
Ou la page couverture qui accroche?
Comme dirait l’autre, Va savoir…

Mais je ne m’en plains point.
Et je m’en vais de ce pas prendre un train pour la métropole
Question de voir si cet album pas puant du tout trouvera preneur ici.

mardi 17 novembre 2009

Certains livres nous font rougir de notre nombrilisme


Trois tasses de thé, Greg Mortenson et David Oliver Relin. Glénat Québec.

Certains livres nous font rougir de notre nombrilisme.
Certains livres nous confrontent à notre confort et notre indifférence.
Certains livres nous donnent envie d’être meilleur.
C’est le cas de Trois tasses de thé.

En 1993, Greg Mortenson s’est perdu en redescendant de K2, le deuxième plus haut sommet du monde. Cette erreur allait changer sa vie… À tel point que cet infirmier de formation et cet alpiniste par passion a été mis cette année en nomination pour le prix Nobel de la paix, remis à qui l’on sait.

Donc, perdu dans les montagnes du Pakistan, ce jeune Américain est secouru par les habitants d’un village isolé. Ému par l’accueil chaleureux de ce village musulman et par le dénuement des gens, il promet de revenir pour construire une école.

Trois tasses de thé est l’histoire de cette promesse, de sa réalisation et de la façon dont elle a bouleversé la vie de Mortenson.

Construire une école, ce n’est pas si compliqué, pensez vous. Ouais. Sauf qu’on parle ici d’une des régions les plus isolées et les plus dangereuses de l’Asie, d’une région où au mieux, on se méfie des Américains et, au pire, on les déteste.

Pour tenir sa promesse de construire une école, Mortenson vivra dans son auto pendant des mois afin d’épargner de l’argent. Il se fera kidnapper, recevra des menaces de mort, acceptera d’être séparé de sa famille pendant de longues périodes. Parce qu’il avait désormais une mission, plus importante que son confort personnel: promouvoir la paix à travers l'éducation.

À force de nuits blanches, d’efforts, d’entêtements et d’humiliations (il a dû en faire des courbettes devant les donateurs), Greg Mortenson a réussi à créer une ONG, le Central Asia Institute, qui a construit, à ce jour, plus de 130 écoles au Pakistan et en Afghanistan.

Le grand intérêt du livre, c’est de voir Mortenson évoluer au fur et à mesure que son projet avance. Au début, il débarque au Pakistan comme un chien dans un jeu de quilles, pressé, hop, hop, allons-y, construisons l’école. Mais il développe la patience et l’humilité. Il apprend à respecter les différences culturelles et le rythme des Pakistanais.Il apprend surtout à ne pas faire l’erreur d’arrogance, si souvent répétée en coopération internationale, qui est de déclarer aux locaux:«Nous allons vous aider. Nous savons de quoi vous avez besoin.»

Le titre du récit est inspiré d’un proverbe Balti (un groupe ethnique du Pakistan) qui dit : la première fois que vous prenez le thé avec un Balti, vous êtes un inconnu. La deuxième fois, vous êtes un ami. La troisième fois, vous faites partie de la famille. Malgré son statut d’étranger et d’ « infidèle », Greg Mortenson a réussi cet exploit d’être accepté comme un membre de la famille, dans des dizaines de villages musulmans du Pakistan. Il a réussi à force de patience, d’écoute et de respect.

Le journaliste David Olivier Relin, qui a écrit l’histoire de Greg Mortenson, nous le montre comme un homme ordinaire qui a accompli l’extraordinaire. On nous présente ici un héros pétri de défauts. Il est timide, s’habille mal et est toujours en retard. Ça le rend irrésistiblement humain.

Et ça nous fait réaliser, avec encore plus d’acuité que l’impuissance n’est pas une excuse. Que l’inaction n’est pas une option. Malgré l’ampleur du défi, Mortenson n’a pas dit « C’est trop gros, je ne peux rien faire… » Il a retroussé ses manches et il a mordu dans l’éléphant, une bouchée à la fois…

Outre le bouquin pour adultes, on a publié deux autres moutures, pour enfants, de la fascinante histoire de Greg Mortenson.



dimanche 15 novembre 2009

Ni aspartame, ni scène braillarde dans ce roman...



Je compte les morts, Geneviève Lefebvre, Libre Expression. 320 pages

Je la lisais, avec moult délices, depuis déjà un certain temps sur son blogue. Alors quand j’ai su que Geneviève Lefebvre publiait son premier roman, j’ai tout de suite voulu le lire. J’avais peur d’être déçue. Un peu. Beaucoup. Je ne l’ai pas été. Même pas un peu. Surtout pas beaucoup.

Je ne vais pas m’étendre pendant de longs paragraphes à raconter l’intrigue de ce simili-polar, car là ne se trouve pas le plaisir. Disons simplement que ce récit suit Antoine Gravel, 37 ans, scénariste de son métier, cocu de son statut, dans une aventure rocambolesque. Quand il se voit offrir un contrat pour écrire un scénario de film sur Maria Goretti (celle qui a dit non…), l’Antoine saute sur l’occasion de se faire du pognon. Sa recherche l’amène à fréquenter Pointe-Saint-Charles, quartier défavorisé de l’est de Montréal. Il y rencontre une panoplie de personnages, tous plus poqués les uns que les autres: une ancienne junkie, des adolescentes paumées, des délinquants, un « bouncer », etc. Au même moment, le quartier est bouleversé par plusieurs meurtres de jeunes filles.

On n’est pas ici dans le pur polar, avec une intrigue tricotée serrée qui nous tient en haleine. Non. Le grand attrait de ce récit, c’est la manière qu’a Geneviève Lefebvre de nous raconter le monde ordinaire, des gens poqués par la vie, ce qu’elle appelle le « white trash » de Montréal. Ils sont pauvres, pas éduqués, pas toujours très beaux, parfois kétaines, mais elle nous les fait aimer, ces sympathiques « losers » malgré leurs tares et leurs faiblesses.

D’autres éléments que j’ai aimés dans ce roman inclassable? Voici :

Geneviève Lefebvre n’a pas peur de tremper sa plume dans le glauque, de nous montrer le laid. Elle ne ménage pas le lecteur, ne rajoute pas la plus petite pincée d’aspartame pour adoucir la misère ou la mocheté. Mais elle glisse ça et là de fulgurants éclairs de tendresse. Ce qui rend son roman si fascinant, c’est justement ce mélange de violence et de douceur et l’auteure les oppose si habilement qu’ils nous semblent encore plus intenses.

Je compte les morts distille des émotions fortes mais pas une once de sentimentalité. J’adore d’ailleurs cette phrase d’un des personnages (la productrice de cinéma): « Je ne veux pas de scène braillarde dans le film, tu sais, la fameuse scène où la fille craque et qu’on voit son côté vulnérable ».

La créatrice de Chez Jules n’a pas son pareil pour les chutes de chapitres. Presqu’à tout coup, elle réussit à terminer ses chapitres sur un coup de poing, un punch ou un point d’interrogation. Cette dame a un sacré talent pour harponner son lecteur.

J’ai jouis aussi de l’ironie suave qui se pointe le nez ici et là, surtout dans les dialogues, où l’on voit l’expérience et l’expertise de la scénariste aguerrie.

Et que dire du don de Geneviève Lefebvre pour les formules choc. Je vous en donne un seul exemple, celui où elle décrit les femmes de Pointe-Saint-Charles qui vieillissent trop vite. « Cinq ans! C’était le temps que ça prenait pour qu’une femme se décompose à grands coups de défaites, d’enfants vite faits et de raviolis en boîte. »

Dernière découverte jubilatoire que j’ai faite en lisant la section Remerciements à la fin du roman. Geneviève Lefebvre cite mon précepte préféré d’Einstein, une maxime que j’aurais bien voulu insérer en exergue de cet album, mais mon éditrice avait refusé, arguant que ça faisait trop sérieux pour les enfants. Voici ce que dit ce cher Albert: « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les ont laissé faire. »

Voici les autres livres dont j’ai parlé samedi matin, à l’émission à Radio-Canada. La chronique peut-être écoutée sur la page web de l’émission Les Divines Tentations, ici.



Trois tasses de thé, Greg Mortenson et David Oliver Relin. Glénat Québec.
Ce récit bourré d’aventures et de culture (celle des Musulmans du Pakistan), raconte l’initiative de Greg Mortenson, un Américain qui a contribué à construire des écoles au Pakistan et en Afghanistan. Le bouquin a été publié dans 20 pays et s’est vendu à 2.5 millions d’exemplaires aux USA. Un livre inspirant, sur lequel je reviendrai avec plus de détails cette semaine.






L’État du Monde 2010 Le grand tournant? La Découverte/ Boréal. 336 pages.
Dans cet État du monde « nouvelle formule », l’achat du livre donne l’accès gratuit au site pendant un an. Le bouquin offre 50 articles pour comprendre les grands changements dans le monde au cours de la dernière année, avec des sections thématiques sur l’économie, la politique, l’environnement, les nouvelles technologies, etc.
Un article sur le problème de la faim dans le monde m’a fait sursauter. L’auteur y condamne les politiques de la Banque Mondiale, qui ont poussé certains pays du Sud à abolir le crédit public aux paysans, forçant ces petits producteurs à se tourner vers des prêteurs et à s’endetter massivement. En Inde, 150 000 paysans se sont suicidés au cours des derniers 10 ans à cause de ces politiques.




Trente. Association des auteurs de l’Outaouais. Vents d’Ouest. 240 pages.
Ce collectif de nouvelles souligne les 30 ans de l’Association des auteures et auteurs de l’Outaouais. Plus d’une vingtaine d’auteurs y signent des textes très variés, du poétique au terre-à-terre en passant par la fantaisie et l’humour.

vendredi 13 novembre 2009

Faire danser les ours plutôt qu'attendrir les étoiles


L’accomplissement suprême, c’est d’arriver à brouiller la frontière entre le travail et le jeu, disait un historien britannique.

Eh ben, cette semaine, j’ai écouté un auteur qui semble l’avoir atteint, cet accomplissement suprême. Qui semble sincèrement S’AMUSER à écrire. Ce créateur à la fois détaché et passionné, sérieux et facétieux, s’appelle François Gravel.

Plusieurs fois, au cours de ce café littéraire organisé par la Bibliothèque publique de Gatineau, il est revenu sur son plaisir d’écrire. À 58 ans et avec 57 livres publiés derrière la cravate, il affirme haut et fort qu’écrire le fait encore jouir. « Il faut que ce soit le "fun" sinon j’arrête», a-t-il indiqué. En fait, il a l’intention d’écrire jusqu’à l’âge de 85 ans, puis de prendre deux semaines de vacances.

Voici quelques-unes des perles qu’il a lancé dans l’auditoire: (et non, pour les esprits tordus, il n’y avait aucun pourceaux dans la salle…)

Au cégep, il détestait ses cours de français, ce qui l’a aiguillonné vers des études en économie.

Modeste, il se décrit comme un conteur plutôt qu’un littéraire. Il ne cherche pas à renouveler la langue mais simplement à raconter une bonne histoire.

Il a plus de plaisir à écrire pour les enfants que pour les adultes.

Il écrit trois heures par jour et il est de mauvaise humeur quand il n’a pas écrit pendant quelques jours.

Il a été membre du jury du prix du Gouverneur général, l’année où Michèle Marineau a reçu cet honneur pour son roman La route de Chlifa. Cette auteure talentueuse, que François Gravel n’avait alors jamais rencontrée, est par la suite devenue sa femme.

De ses 57 livres en circulation, il y en a un seul qu’il regrette d’avoir publié, estimant qu’il n’est pas à la hauteur.

Son livre dont il est le plus fier est Zamboni. Il a eu cette très jolie image pour le décrire: «Il est comme un œuf, il est plein.»

Une fois qu’il a publié un livre, il ne le relit jamais. « C’est comme entendre sa voix ou se revoir sur des photos. Je n’aime pas ça. »

Sa blonde (également auteure) fait des plans à n’en plus finir avant de commencer un roman tandis que lui ne fait jamais de plan.

Il lui est arrivé – quatre ou cinq fois (oh my God!) de jeter un manuscrit de roman à la poubelle, le jugeant trop mauvais.

Il ne sait pas si ses meilleurs livres sont devant lui ou derrière lui.

Il rêve encore d’écrire un GRAND livre. Il a terminé en citant Flaubert: «La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.»

mardi 10 novembre 2009

La boue, ce « désespoir du soldat »


Cet automne, j’ai passé plusieurs jours avec un jeune Acadien dans la vingtaine. J’ai suivi Théodore Dugas dans les tranchées boueuses du nord-ouest de la Belgique, au cœur des combats les plus meurtriers de la Première Guerre mondiale. Plongée dans son journal de guerre, je l’ai suivi pendant quatre années aux champs de bataille, à travers le froid, la faim, la peur, à travers les obus, les camarades blessés ou déchiquetés par les bombes.

Bien qu’il ait été blessé à deux reprises, Théodore Dugas est retourné au combat, même si on lui avait offert un poste dans un bureau de l’armée. En septembre 1918, il est blessé une troisième fois. Cette fois, la balle traverse ses vertèbres dorsales. Paraplégique, le caporal est rapatrié au Canada, où il meurt après quelques mois de souffrances terribles.

Des carnets de guerre de Théodore Dugas, je devais choisir des extraits et rédiger des liens de narration pour un scénario de huit minutes, commandé par la CCN à l’occasion du Jour du Souvenir.

À la lecture des carnets du soldat Dugas, je n’ai pu faire autrement qu’admirer son stoïcisme. Malgré ses descriptions détaillées de la barbarie de la guerre, cet Acadien courageux ne se laisse jamais verser dans l’apitoiement.

Paradoxalement, un des passages qui m’a le plus émue, c’est quand le jeune caporal parle de la boue, l’omniprésente boue des tranchées. Cette boue, il l’appelle « le désespoir du soldat ».

Et je l’ai imaginé, ce jeune Dugas, pataugeant dans la boue, grelottant dans la boue, mangeant dans la boue, dormant dans la boue, se battant dans la boue, chiant dans la boue, pleurant dans la boue, traînant les blessés dans la boue, abandonnant les morts dans la boue. Et j’ai compris pourquoi cette maudite boue était le « désespoir du soldat ».

Si on forçait les armées modernes à vivre dans la boue quelques semaines, y compris les généraux – surtout les généraux! – la paix serait peut-être plus vite négociée.

dimanche 8 novembre 2009

J’ai pleuré en lisant ce roman mais j’ai oublié de quoi il parlait...



J’ai reçu cette semaine un courriel d’un éditeur scolaire, qui demandait mon accord pour reproduire une de mes critiques littéraires dans un manuel destiné à des étudiants du secondaire. Publié dans Le Droit en 1994, le texte s’intitulait Lettre ouverte à Réjean Ducharme.

Ce titre ne me disait rien. Je ne me souvenais pas – mais vraiment pas – d’avoir écrit à Réjean Ducharme. Heureusement, l’éditeur avait pensé à m’envoyer copie du texte en question, car moi je n’ai presque rien gardé des centaines de critiques littéraires que j’ai écrites pour Le Droit en douze ans de «chroniqueries ».
J’ai donc relu ma lettre au père de L’avalée des avalées.

Et je me suis souvenue que j’avais pleuré en lisant Va savoir.

Je me souviens d’avoir été fortement émue par la force des images, par l’intensité des émotions.
Mais ce qui est le plus étrange (et un peu honteux, avouons-le), c’est que je me souviens à peine du roman, de l’histoire, des personnages.
Je ne comprends pas ma mémoire et je lui en veux à cette étrange bête de m’avoir laissé oublier les détails de ce roman qui, quinze ans plus tôt, m’a fait interpeller Réjean Ducharme avec autant de ferveur.

Et vous, votre mémoire, elle vous trahit aussi bassement que ça?


Lettre ouverte à Réjean Ducharme
Le Droit
Arts et spectacles, samedi, 12 novembre 1994, p. A6


Salut Réjean Ducharme,
Je t’écris comme on jette une bouteille à la mer. Sans savoir où, ni quand elle échouera. Dans le ventre d’un béluga, sur un tas d’algues pourries, dans un mois, dans dix ans? Va savoir…

Justement, je t’écris à cause de ton Va savoir. Les médias en parleront sans doute beaucoup ces jours-ci. Surtout si tu rafles le Renaudot, le Médicis, le Prix du gouverneur général ou le Grand Prix du livre de Montréal, tous annoncés prochainement. Des prix littéraires, tu en as déjà toute une moisson. Ce n’est sûrement pas quatre de plus qui te feront sortir de ta cachette.

Comme on ne se rencontrera jamais, je m’offre le luxe d’une lettre ouverte. Et le luxe aussi de te tutoyer. D’ailleurs, il me semble voir ta réaction si j’écrivais «vous»: le sourcil relevé, politiquement perplexe, l’air de dire, qu’est-ce qu’elle a celle-là à faire des manières? Donc, je te tutoie sans te connaître. Mais quand on a fait pleurer ses lecteurs, il faut bien ensuite tolérer leur familiarité. Surtout lorsqu’elle s’exerce à distance.

Je voulais t’écrire pour te répéter une évidence. Te dire ce que tu sais déjà. Car tu le sais, n’est-ce pas? Les critiques, en France comme partout au Québec, l’ont déjà assez proclamé : « Un chef d’œuvre… »

Je voulais te répéter que ton roman est de ceux qu’on marque d’une pierre blanche. Un roman dont on parle à tous ses amis mais qu’on ne prête pas. Un roman qu’on relit un jour de cafard. Un soleil inextinguible parmi nos souvenirs littéraires.

J’avais gardé ton livre pour mes vacances, pour le lire en toute lenteur, sans interruption. Les livres remarquables sont si rares qu’il faut les traiter avec respect. On ne les lit pas à la pause-café ou en attendant l’autobus, à la va-vite.

L’instinct a ça de bon qu’il nous avertit du danger et aussi des grandes joies à venir. Avant même d’avoir ouvert la première page de Va savoir, mon instinct m’avait prévenu que je sortirais chavirée de cette lecture.

Depuis ma découverte flamboyante de L’amour au temps du choléra, de Gabriel Garcia Maquez, je n’avais jamais lu une histoire d’amour aussi intense, aussi désespérée.

Je me suis si bien glissée dans l’univers de Rémi Vavasseur, de la sensuelle Mary, de fille Fannie, de Jina la dure-à-cuire, que je ne voulais pas sortie de Va savoir. Tu as rendu tes personnages si vrais, si présents, que lire la dernière page du roman était comme entrer en deuil.

La beauté pure remue. J’ai pleuré donc.

Comme bien d’autres, je me suis demandé : qui est cet homme capable d’écrire des pages si chaudes qu’elles vous brûlent entre les mains? Si tendres qu’on a envie d’embrasser la couverture blanc cassé de Gallimard?

Que tu sortes ou non de ton anonymat, cher Réjean Ducharme, que tu gagnes ou non le Renaudot, au fond, ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est qu’on puisse lire tes livres. Après avoir lu Va savoir, je voulais te répéter les mots les plus clichés mais les plus significatifs que l’on puisse dire à un écrivain: Merci. Encore.

jeudi 5 novembre 2009

J'aurais voulu voir l'oeil de bouc


Je reviens d’une virée de trois jours à Winnipeg, dans le cadre de la tournée Lire à tous vents. J’ai aimé ce bain éclair dans la culture manitobaine.

Petit pot-pourri de plaisirs vus et entendus:
- Je suis allée dans les écoles des villages de St-Pierre Jolys, Lorette, St-Norbert, Ste-Anne. Ces petits ilots francophones m’ont rappelé Astérix et Obélix et ce village têtu de la Gaule qui résiste à l’envahisseur…
- J’ai vu à l’œuvre une conseillère pédagogique modèle, passionnée par les livres et ardemment engagée pour transmettre aux jeunes son amour de la langue française.
- À force de sillonner les plaines, ça m’a donné envie d’aller ici, écouter cette chanson indémodable d’un fils du Manitoba. Oui, Daniel Lavoie, je l’entends gémir la langue de votre mère…
- Je n’ai pas compris la controverse autour de la sculpture de Louis Riel nu, qui m’a paru frappante, sobre et digne.
- J’ai souhaité que le frimas descende sur nous pour voir mon premier œil de bouc. Mais les grands froids sont restés au Nord…
- J’ai écouté des enfants de six ans chanter du Beau Dommage accompagnés à la guitare par leur enseignant, le dynamique et dévoué Monsieur Pierre.


- Dans la maison de Gabrielle Roy, sur la célèbre rue Deschambault, une gentille guide bénévole m’a raconté en long et en large les étapes de restauration de la maison. Mais je n’ai pas appris grand-chose sur l’âme ou l’art de l'auteur de Bonheur d'occasion.


- Dans une classe de première année, j’ai vu un petit garçon déplacer avec mille précautions sa guitare imaginaire. Il avait l’air tellement sérieux, tellement intense, que j’aurais voulu le chatouiller pour l’entendre rire. J’aurais voulu lui donner un de mes livres, la KitKat que j’avais dans mon sac, un bisou sur la joue. Mais l’auteure en visite n’a pas le droit d’avoir des chouchous.
- J’ai été charmée par l’accueil chaleureux des Manitobains, qui vous regardent dans les yeux, vous lancent un bonjour bien franc, semblent contents de vous voir et n'ont pas l'air de faire semblant.
- J’ai échangé un de mes albums contre un dessin d’un garçon de troisième année (dessiné pendant ma présentation). Il m’a offert le sourire vainqueur d'un gagnant de loterie et je me suis sentie aussi triomphante que lui.
- J’ai vu une lune ronde et pâlotte s’incruster dans le ciel au-dessus du pont Provencher, à huit heures du matin. Cette rebelle refusait d’aller se coucher.
- Je me suis assise devant la lucarne du grenier où Gabrielle Roy a commencé à écrire. La gentille guide m’a dit que cette chambre célèbre avait inspiré bien des artistes. J’ai attendu patiemment l’inspiration. Elle n’est pas venue.